Cette révolution est perçue avec une acuité toute particulière par une autre figure majeure de ce temps — Constantin Melnikov, auteur de réalisations parmi les plus emblématiques de l’architecture de l’avant-garde russe. Sa demeure, cachée dans une ruelle du vieux quartier de l’Arbat, n’a rien perdu de sa fraîcheur ni de son aspect futuriste : à la contempler, on a le sentiment d’entrer de plain pied dans une nouvelle ère de la construction, nécessairement grandiose. L’architecte en est pour sa part convaincu, quand il déblaie, en 1929, les quelque six cent mètres carrés de terrain que le Parti lui a généreusement accordés deux ans plus tôt — à une époque où la propriété privée a été abolie depuis dix ans et où le logement individuel est devenu un luxe inouï. Mais Melnikov a fait fureur, à Paris, avec son pavillon conçu spécialement pour l’Exposition des arts décoratifs — et la " star " a droit à certaines concessions. En outre, cette maison n’est, pour l’architecte, qu’un prototype expérimental, un modèle qui pourra être reproduit à l’infini, et dont pourront bénéficier tous les ouvriers soviétiques.
Pourtant, ce qui devait n’être qu’un point de départ devient un terminus. Comme d’autres artistes phares de la période, Melnikov tombe rapidement en disgrâce. Dans les années 1930, le Parti ne veut plus changer le monde — ses dirigeants le considèrent bien assez modifié comme cela. Il ne s’agit plus de " poursuivre la révolution " mais d’en glorifier les pères — y compris au moyen de l’architecture. Et c’est une tâche bien trop étriquée pour l’esprit de Melnikov, dont les idées sont jugées outrageusement audacieuses et indépendantes.